Qu’elle était morte ma vallée

L’homme de la vallée du sud de l’Alsace qui borde la frontière de la confédération helvétique est chanceux. Une fois passé le traditionnel couplet du huitième jour du mois de mai sur le sang impur abreuvant nos sillons, il a pu pendant trois jours d’affilée se cultiver. Pour cela il lui suffisait de se rendre au salon du livre que les gens bien intentionnés présidant aux destinées de la bonne ville de Saint-Louis s’entêtent à organiser depuis plus de trente ans. On ne va pas s’étaler là dessus pendant des pages. On y était. C’était comme d’habitude :  très bien !

On y a vu un ancien prélat de l’église catholique romaine, la mine toute de surprise feinte, se faire récompenser pour un ouvrage en forme de déclaration d’amour à une région qu’il a depuis quittée. On y a croisé un ancien directeur de magazine national venu se qualifier pour les olympiades des cracheurs de soupe dans la catégorie reine qui l’ a nourri pendant trente ans. On y a subi la foule des curieux venus s’abimer dans le spectacle navrant du chien d’une gloire du petit écran venu dédicacer son dernier os. On y a cherché le président du conseil régional. On ne l’a point vu. Il devait être occupé à voir son équipe de foot subventionnée trainer quatre vingt dix minutes d’errance dans un stade de la Meinau aux trois quarts vide. A moins qu’il n’ait eu piscine ou une excursion programmée en Lorraine.

Mais surtout, on a pu constater que lorsque la volonté politique de rassembler plus de deux cents auteurs , illustrateurs et acteurs de la chaine du livre était réelle, il se trouvait toujours plus de vingt mille personnes pour venir confirmer que la culture a sa place dans les vallées. Toutes les vallées ? Malheureusement non. Autre vallée, autre moeurs. A en croire le site internet de la troisième communauté de communes du Bas-Rhin se déroulait au même moment l’un des temps forts de l’année auquel nous avons échappé. Je ne mentionnerai pas le nom de la manifestation par respect pour la langue française. La communication étant comme de bien entendu en anglais.

Pour faire court, même payé une fortune, pour rien au monde je ne me mélerais à une foule venue admirer un défilé de mécaniques allemandes. Trop de mauvais souvenirs. Saisissez-vous l’allusion ou dois-je  devenir très lourd ?

Je ne conteste à personne le droit d’organiser un moment festif autour d’une passion commune pour de la carosserie. Il ne manquerait plus que ça ! Par contre, non seulement c’est mon droit de trouver cela infantile et pour tout dire completement con, mais surtout j’ai le devoir de m’interroger quant à la légitimité de faire passer un tel rassemblement pour un moment important dans la vie de la communauté à laquelle j’appartiens. Cela d’autant plus qu’à quelques lieues de là, plus haut dans la vallée, des artistes se sont rassemblés pour offrir autre chose en partage qu’un non-sens écologique plein de bruit et de fureur polluante.

Pour finir sur une note optimiste, le cinéma Rohan propose huit films d’ Ingmar Bergmann. Comment peut-on hésiter une seconde entre le beau visage de Liv Ullmann et le spectacle navrant d’une bagnole carossée comme un insecte ou celui encore plus affligeant, pour coller à l’actualité cinématographique, d’un lézard de cinquante mètres  de haut et de ses aventures révisionnistes ?

Poser la question est déjà une insulte à l’intelligence. Essayer d’argumenter serait le meilleur moyen de s’exposer à la lumière cruelle d’un diagnostique impitoyable : non seulement on serait infantile et con, mais en plus on serait mort.

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