Wenn ich Kultur (nicht) höre…

Quand j’entend (pas) le mot “culture”…

Avant d’aller plus loin, il me semble judicieux d’apporter queques précisions quant au titre de cette chronique, eu égard à la charge référentielle assez lourde qu’il véhicule. Histoire de rendre à un César bien particulier ce qu’on attribue trop fréquemment à différents  notables, membres de la pire espèce de maniaco dépressifs que le vingtième siècle ait pu compter.
Tout d’abord restituons la phrase dans sa traduction française pour nos amis lecteurs non germanophones.

“Quand j’entends le mot culture, j’arme mon browning”. Et non pas comme il est coutume de le lire “je dégaine mon revolver”. D’abord parce que le browning de ces années-là n’ayant pas de barillet est donc un pistolet, ensuite parce que entsicheren, difficilement traduisible, décrit plutôt le stade supérieur à celui de l’acte de dégainer qui est d’armer ou de libérer la sécurité. L’ultime étant celui d’appuyer sur la détente. (Vous ne croyez tout de même pas que j’allais écrire la gachette, si ?) Ce n’est pas parce qu’on a été déclaré inapte à porter l’uniforme que, comme tout enfant des années cinquante, on en a pas pour autant, malheureusement, une culture guerrière solide.

Passons à la paternité.
Du gros  luftwaffeur Hermann au myope libidineux Heinrich, en passant par Joseph le nabot propagandiste et cela juqu’à leur Adolphe de guide suprême, tous ce sont vu attribuer la paternité de ces quelques mots à la renommée nauséabonde. Il n’en est rien. Il s’agit d’une réplique. Une simple réplique tirée d’une pièce de théâtre écrite par un  obscur auteur nazillard et donnée en représentation pour l’anniversaire de l’accession au pouvoir de Adolphe H, en présence du dédicataire et de toute sa clique de dignitaires dégénérés. Je ne vous donne pas l’année. J’attends de mon lecteur un certain nombre de connaissances basiques qui me le rendent estimable. Le titre de ce spectacle scénique,  qui n’a pas marqué les annales du spectacle vivant, est “Schlageter“. L’auteur en est Hans Johst.

Albert Leo Schlageter était un opposant aux Forces Françaises d’Ocupation en Allemagne dans les années vingt du siècle dernier, qui a accédé au titre de premier martyr du national socialisme après avoir été fusillé pour acte de sabotage. C’est malheureusement le triste privilège d’une nation, quelque soit son drapeau, de réprimer avec violence la résistance d’un peuple qu’elle a soumis par les armes. Je ne tiens pas ces informations d’une caricature d’encyclopédie informatique. Je dois tout cela , entre autres,  à la lecture d’un ouvrage exceptionnel qui est ” La troisième nuit de Walpurgis ” de Karl Krauss. Monsieur Karl était un éditeur pamphlétaire opposant au nazisme dans la Vienne de l’Anschluss qui écrivait et publiait un journal à la périodicité, à la pagination et au format irréguliers. Sa qualité d’écriture et d’engagement représente dans mon panthéon personnel l’archétype inégalable du journaliste hautement respectable. De tels hommes devraient foutre la honte au neuf dixième des plumes de notre pays, tous occupés qu’ils sont à écrire avec leur cul pour aller le poser sur les bancs de n’importe quelle académie pompeuse.

La lecture de Krauss, pour les insidieux microbes gribouilleurs que nous sommes,  représente  ce que je trouve de plus proche de l’expérience de la route de Damas et elle  donne toute son autorité aux propos de Schweitzer qui prétendait que “l’exemple n’est pas le meilleur des éducateurs, il est le seul !”

A ce point, je vous sens mi-énervés mi-reconnaissants de toutes ces précisions qui vont vous permettre de briller en société en ces temps de confusion des genres et des attributions floues. Aussi puis-je comprendre qu’un certain questionnement vous  gagne quant au but de mon propos, après toutes ces circonvolutions.

J’y viens. En fait, j’y suis.

J’assistai, la veille de ce récent week-end pascal à l’installation puis l’élection du président et des vice-présidents de la communauté de communes de Molsheim-Mutzig, troisième intercommunalité du Bas-Rhin par son importance, septième de la région Alsace. Je n’y assistais pas seul. Nous étions quatre citoyens et, au vu de la surprise que cela a créé, cela ne doit pas être si fréquent.

J’y ai vu quelques habitués historiques sûrs d’eux sans aller jusqu’à la suffisance,  quelques nouveaux élus encore timides sans aller jusqu’à la maladresse, quelques héroïnes de la parité à l’élégance discrète sans être ostentatoire. J’y ai assité au numéro sans faute d’un président dont pourtant je redoutai la faconde insupportable et qui s’est avéré plutôt bon orateur, autant que maître de cérémonie habile et agréable dans l’exercice fastidieux d’avoir à faire voter quarante-deux élus à six reprises.

J’y ai entendu ce qui, je pense, doit être le lot commun d’assemblée de ce genre. Les inévitables remerciements sur la confiance accordée. Les voeux sur les moyens de se donner à oeuvrer ensemble, la promesse clamée de ne pas oeuvrer seul. Plus de trois heures de séance pleinière. Quarante-deux élus présents, représentant trente-neuf mille trois cent une personnes, chargés d’élire un président et six vice-présidents. J’ai été autant attentif qu’il est permis de l’être et mes petits camarades pourront témoigner de mon attention.

Alors je vais faire bref : JE N’AI PAS ENTENDU UNE SEULE FOIS PRONONCER LE MOT CULTURE !  ( Ca y est vous avez compris le titre). Aussi vais-je conclure sur un ton légèrement  moins correct et moins élégant, dans un registre plus énervé, un brin urticant comme se plait à le dire un mien collègue. Qu’y a-t-il de pire : un pays géré par des malades qui arment leur pistolet quand ils entendent le mot culture ou un pays où des élus l’ont rayé de leur vocabulaire ? Un pays où on brûle les livres ou un pays  où on va finir par ne plus en trouver alors qu’on a trois piscines pour dix-huit communes et toujours aucune librairie entre Strasbourg et Saint-Dié ?

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