La beauté dans l’oeil qui regarde

Ce qui me remplit d’aise dans ma vie de dessinateur vieillissant c’est ce moment calme qui précède l’endormissement quand je me prépare au sommeil bienfaiteur en pensant à ce que j’ai pu apprendre d’intéressant dans ma journée. Il n’y a rien de mieux pour la qualité du sommeil, tous les thérapeutes et marchands de grigri vous le confirmeront, que de s’endormir en se disant que non seulement on est moins bête qu’au moment où l’on s’est réveillé le matin même, mais aussi qu’on a l’impression d’être plus intelligent. J’ affirme cela sans prétention ni fatuité aucune. On oublie trop souvent que l’intelligence, loin d’être une faculté à briller en public ou en famille, est avant tout une prédisposition à comprendre la nature des choses. Ceux d’entre vous, je sais qu’il y en a, ayant encore sur les étagères de leur bibliothèque leur gaffiot peuvent aller vérifier ; intelligere, en latin, c’est comprendre. D’ailleurs le grand Virgile, notre bon maître à tous le disait “On se lasse de tout sauf de comprendre” Et c’est bien vrai comme disait mon poissonnier qui, malgré un défaut de prononciation qui le faisait régulièrement confondre la battue labio dentale voisée avec la fricative labio dentale sourde , savait que la vérité ne sort pas seulement de la bouche des enfants mais aussi de celle des poissons surtout quand ils sont gros et ce n’est pas Pinocchio ni jonas qui diront le contraire. Tout ça pour dire que le concept d’intelligence artificielle est non seulement un oxymore mais aussi une affreuse usurpation car un truc artificiel ne peut pas décemment comprendre grand chose à la vie, la vraie. Il faudra donc dorénavant, sous peine de faute de français, dire la connerie artificielle, certes inventée par des gens qui ont compris beaucoup de choses à la vie et au sens des affaires, mais connerie quand même. Aussi, moi qui adore faire la vaisselle, et qui à ce titre peut affirmer que j’ai mes deux bacs, celui d’eau chaude et celui d’eau froide ( vous ne croyez tout de même pas que je vais laisser à une saleté de machine  le droit de nettoyer ma vaisselle) j’essaie de mettre le temps précieux consacré à cette tâche ménagère valorisante pour réfléchir à la compréhension des choses. L’anecdote qui m’a occupé l’esprit aujourd’hui c’est le dernier concept à la mode dont j’ai été informé ( peut être tardivement mais c’est là) Il s’agit de l’ego déco. Pas les constructions en briques rouges et blanches de la multinationale danoise  providence des marchands de jouets et desespoir des femmes de ménages et des parents qui n’en ont pas ( de femme de ménage) non, l’ego le moi. L’ego déco consiste à s’affirmer à travers la décoration de son intérieur. Sans blagues. Des êtres humains n’ont aucun toit pour se loger, d’autres vivent entre des murs dans des conditions déplorables  et indignes, mais il en reste pour n’avoir pour seule préoccupation dans la vie que de s’affirmer dans ce qu’ils vont pouvoir accrocher sur leurs murs. Comme s’ il existait quelque chose au monde de plus beau à accrocher sur son mur qu’un dessin d’enfant? Et bien oui il existe , et c’est la dernière tendance qui fait fureur chez le peuple le plus intelligent de la planète; se faire photographier l’iris et accrocher l’agrandissement après l’avoir encadré. Oubliez la photo où vous posiez en amoureux à Venise ou à la fête de la betterave de St Narcisse en Champagne, les cadenas sur le pont neuf avec les clés dans la Seine.Ringard tout ça , dépassé. Le pinacle de la déco, à faire pâlir vos invités quand ils débarquent, est là sur le mur. Vos deux iris  amoureusement rayonnants dans leur éclat digitalisé. Le comble du narcissisme… vous imaginez le truc dans la chambre à coucher … la perversion suprême, plus besoin de se filmer comme au siècle dernier, n’éteins pas la lumière chérie , j’aime qu’on soit nous mêmes en train de nous regarder… Je n’irai pas plus loin. Depuis le temps que nous bataillons pour la décroissance avec tous nos arguments sur une planète dont les ressources ne peuvent être illimitées, il y en a une que nos opposants peuvent maintenant encore plus nous sortir à tout moment.  Qui nous terrasse dans l’argumentation nous laisse sans voix forcés d’admettre notre tort, c’est la connerie! On a beau faire, française ou planétaire , elle sera toujours illimitée.