Manustrupation dans les wagons

ou petite poucette en gants de boxe.

A ceux qui n’ont pas eu, tel l’académicien Michel Serres, la chance de savourer les délices d’une éducation classique je me dois d’expliquer le mot précieux figurant en titre de cette chronique. Si la première partie faite de “manus” est aisément compréhensible, la deuxième, dans l’étymologie du mot qui nous intéresse, est faite de “stuprum” qui, dans la langue de Virgile, désigne la pollution. Le cruciverbiste en herbe ainsi renseigné n’aura aucun mal à solutionner le vide de neuf cases blanches correspondant à la définition familière d’une pollution de la main par le terme joliment fleuri de “branlette”. J’imagine sans grand effort les plus dubitatifs d’entre vous aller sur le champ (statim) vérifier sur leur encyclopédie en ligne. Gens de peu de foi ! Je tiens cela de mon Gaffiot, qui est à la civilisation latine plus que l’autorité supérieure, l’intelligence incarnée. Un peu ce qu’était au syndicalisme le code du travail avant que le social traitre Emmanuel Macron ne projette de le transformer en bible obsolète. Oui mais la pollution manuelle dans tout cela ? J’y viens. J’ai besoin pour cela de convoquer, à nouveau, le philosophe Michel Serres, ancienne gloire de la pensée française échouée sur les bancs de l’académie du même nom, ainsi que la ministre Fleur Pellerin, icône évangélisatrice de la bonne nouvelle numérique. Où ? Dans un endroit très prisé des foules qu’ils n’ont pas dû fréquenter depuis belle lurette : les transports en commun. C’est une décision judicieuse et bien compréhensible car ainsi s’épargnent-ils le spectacle affligeant auquel il m’est donné d’assister quand il m’arrive de prendre l’omnibus me ramenant dans ma vallée alsacienne et la chaleur de ses feux.

A longueur de rame, ce n’est que rangées de gens jeunes, moins jeunes et franchement vieillissants, impassibles. Prostrés, la tête tombant lourdement vers l’avant, les oreilles couvertes par des écouteurs. Abîmés dans l’agitation frénétique de leurs deux pouces autour de vingt centimètres carrés de post modernité.

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Des wagons entiers d’autistes occupés à s’astiquer en choeur et en toute indifférence. C’est triste. C’est navrant. C’est vraiment dégueulase. Quelque part je ne peux m’empêcher de penser que la véritable pornographie s’étale là, dans cette soumission collective de deux mille ans de civilisation à une technologie avilissante, alors que la sonnette d’alarme est tirée par pléthore de professionnels qui commencent à diagnostiquer les premiers symptômes de pathologies inquiétantes.

Au moins les adolescents obsédés que nous étions, quand ils se polluaient la paluche sur des images de jeunes femmes lascives qui sytématiquement oubliaient d’enlever leurs chaussures en posant nues sur des lits toujours défaits, ces adolescents là faisaient travailler les cinq doigts de leur main ! Aucun d’eux n’est devenu sourd en dépit de la lourde promesse que le bon sens religieux et populaire faisait planer sur eux par de telles pratiques authentiquement divertissantes autant qu’hygiéniquement récréatives. Ces gamins qui s’astiquent un nombre hallucinant d’heures quotidienne sur leur quincaillerie d’humanité par l’agitation de leurs deux pouces augmentée, qu’en pensent-ils?

Qu’en pense le grand philosophe vendu aux marchands de progrés et sa  petite poucette si médiatisée? Qu’en pensent les adultes et parents qui, eux les  premiers, ont payé pour ces saloperies sans nom ?

Il y a pas mal de temps, lors d’une de ces réunions de parents d’élèves où chaque pédagogue qui sommeille en nous tient à prendre la parole fort de détenir une part conséquente de vérité, je me suis honteusement fait remettre à ma place, non sans avoir dû endosser l’uniforme du pire des réactionnaires de la soirée. Alors que j’essayais naïvement d’éveiller la conscience d’une sympathique mère de famille sur les dangers potentiels des écrans déjà si envahissants, je m’étais fait répondre d’un air moqueur qu’il fallait faire confaince aux thérapeutes du futur. Je vous parle d’un temps où la moitié d’un wagon lisait et l’autre échangeait d’un air détendu sur les  joies et les peines de la journée.

Je me suis malencontreusement cogné à la même mère de famille dans la rue il y a peu. La charmante personne n’avait  pu m’éviter, tout occupée qu’elle était à suivre, sur sa saloperie six point zéro, la bonne parole du nouvel évangile de la modernité que la petite Fleur délivre sur son compte twitter. Elle sortait, m’avoua- t- elle, de chez un énième thérapeute ayant échoué à délivrer son enfant, pourtant bien éloigné de l’enfance, d’une addiction croissante au dernier opus de la marque à la pomme croquée. Je ne suis d’aucune Eglise, diplômé d’aucune faculté, détenteur d’aucune autorité médicale. Je lui ai juste proposé un remède me paraissant assez radical ; chausser les mains de son ado attardé de gants de boxe! Le rabaisser au niveau de ces  canidés que l’on équipe d’une minerve en forme d’entonnoir afin qu’ils ne puissent atteindre la partie de leur animalité en souffrance…

Je ne figure naturellement sur aucun réseau social ou équivalent, elle n’a donc pas jugé nécesssaire de me rayer de ses contacts. Elle m’a juste signifié sèchement qu’elle me priait de ne plus jamais lui adresser la parole.

Je pense que je survivrai.