Lisele, princesse d’Alsace à la mèche fantasmée

C’est venu d’une mèche de cheveux surprise à la dérobée dans un restaurant. Une mèche rebelle qu’une jeune femme délicieuse passait son temps à replacer dans un geste à la lenteur caressante et  détachée, marque authentique de l’élégance  naturelle absolue dans un lieu aussi décalé. Pour moi, dont la situation dans l’échelle de l’élégance doit se situer entre la botte de radis du rayon fruits et légumes  de l’épicerie du coin et la paire de chaussettes forcément dépareillée, ce type d’expérience émotionnelle est une bénédiction. Il vient me rappeler sans fioritures que, même dans le quotidien de nos petites vies et sa foultitude de gestuelles et autres poses insignifiantes, nous sommes loin, très  loin d’être égaux, en goût, en élégance et en séduction.

Du jour où j’ai su que toute chevelure au sein d’un lieu de culte devait être couverte afin de ne pas provoquer l’envie des anges, mon enfance idéale de catholique romain a basculé vers un chaos organisé autour de la beauté. Je suis sorti de la forme d’endormissement béat dans lequel le bercement des hosannah me plongeait mollement pour m’intéresser d’un peu plus près à ce ravissement esthétique mystérieux d’autant plus redoutable qu’il devait être caché sous le foulard des paroissiennes. C’est à cette occasion et du choc émotionnel qui s’en suivit qu’il m’a fallut affronter une cruelle déception : je ne serais jamais un ange. Aujourd’hui, il n’y a plus guère que les bancs des fidèles de Saint-Nicolas- du-Chardonnet pour accueilir un taux de concentration de carrés Hermés propre à ridiculiser n’importe quel centre commercial des Emirats Arabes Unis. Où est passée l’élégance  mystérieuse de mon enfance? Où sont passées les paroissiennes ? Heureusement il y a cette mèche salutaire installée à quelques encablures de chaise de ma table pour provoquer un émoi bénéfique sur mon âme de dessinateur vieillissant sans pour autant verser dans une tricophilie affligeante.

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J’étais là, confortablement installé en compagnie d’un groupe d’amis, sincères pour les uns, récents pour les autres, quand l’élégance de cette mèche rebelle a retenu mon attention. J’en tairai la coloration capillaire, tant par correction que par soucis de discrétion. Je connais le lecteur et les effets pervers que peut avoir une narration trop riche de détails dont les moindres sont d’enflammer son imagination dans des proportions redoutables. Un mot agréable, pourtant de politesse retenue tout empreint, mène rapidement à un adjectif flatteur. Un compliment en appelle un autre puis c’est l’escalade. D’une banale conversation autour des similtudes toublantes entre la peau diaphane d’une jeune femme  au sourire devastateur et la chair pulpeuse de la prunus persica, le discours s’emballe, le vernis culturel craquelle, le décor soudainement bascule.

Ce doit être les fragrances mélées du muguet fraichement cueilli et du rosé pétillant. On se retrouve en plein scénario digne de la maison des Atrides avec un Menelas de winstub battant le rappel de mille navires pour laver sa susceptibilité maladroitement chatouillée. Un ange passe, puis un deuxième et c’est bientôt toute la hiérarchie qui va défiler… Mais un souffle de soulagement s’installe, l’envie est repartie. Reste les hommes. Reste l’Alsace. Oui car derrière cette digression, c’est l’Alsace que je vois,  mais une Alsace à la mèche fantasmée, car en embuscade l’Alsace. Si soucieuse de ne pas provoquer. Lisele, la chevelure bien cachée sous la coiffe. Les nattes bien tressées Lisele, bien discrètes. Surtout ne pas créer le moindre  désordre qui pourrait génerer l’envie.
Si on parlait d’envie Lisele ?… Bientôt les courtisans vont se faire pressants. L’année prochaine c’est les noces. Les régionales . A qui vas-tu  donner ta préférence, Lisele ? Aux mêmes gros lamentables débordants d’incompétence qui depuis des décades te serinent les sempiternelles lourdeurs graveleuses sur tes charmes en louchant dans ton décoletté pourtant discret.
L’année prochaine, Lisele, il te faudra choisir parmi la foule des prétendants. Ces représentants de commerce pour l’industrie du poisson, ces Ulysses de pacotille qui, chaque veille d’élection depuis cinquante ans, te promettent la même lune qu’ils s’empressent, une fois l’écharpe tricolore conquise, d’aller admirer avec la première pétasse à bonnet phrygien venue, pour peu qu’elle ondule lascivement de l’arrière et de l’avent. Combien de temps vas-tu laisser l’acheen jacobin à la langue mensongère usurper ta couche Lisele, alors que tu es de la race des princesses troyennes? Vas-tu le laisser brûler tes murs et éteindre ta lignée sous pretexte que, de tes cendres  dispersées,  une hypothétique Rome pourrait renaître ? Ou vas-tu réecrire l’histoire et choisir le champion qui te rendra ta fierté mise à mal ? Ton fils de Priam reincarné, ton nouvel Hector, ton “gardien du bonheur périssable…”. Si tu l’appelles Lisele, il viendra. Il se cachera discrètement  parmi la foule des vieux paons cacochymes et des jeunes libidineux qui bientôt paraderont sur ton passage. Tu le reconnaitras. C’est le seul qui n’aura d’yeux que pour l’élégance bouleversante de ta mèche égarée.