Lalique ta mère

Au début du mois de mai s’est tenue la trentième édition du salon du livre de Saint-Louis dans le Haut-Rhin. Superbe brochette d’invités. Plateau riche et diversifié d’auteurs et d’illustrateurs tant régionaux que nationaux. Affluence record, gros succès populaire, médiatique et politique. Que du bonheur sur trois jours de fin de semaine. Le vendredi soir, un cocktail était organisé à la médiathèque attenante pour célébrer la remise d’un prix littéraire dont on voudra bien me pardonner d’avoir oublié l’intitulé exact. Avisant un carton d’invitation négligemment abandonné par un invité, quelle n’est pas ma surprise d’y voir mentionné le nom du président du Conseil général d’Alsace. La manifestation tire à sa fin et, comme tout bon auteur pique-assiette qui se respecte, je suis arrivé en retard. Aussi me faut-il, avant de me réjouir faussement, m’enquérir de cette info essentielle : Philippe Richert aurait-il été présent ? Sans grande surprise la réponse est bien sûr négative. Focalisons-nous plus précisément sur la situation. Vous êtes le premier personnage politique d’une région et membre du jury d’un prix littéraire qui sera remis lors d’une manifestation à laquelle la stature même de votre personne vous confère l’obligation d’assister. C’est vendredi soir, et vous n’êtes pas foutu d’être là. Soyons un peu plus précis, ou spécifique comme disent nos amis outre atlantique. Il y a moins d’un mois, une consultation électorale qui devait assurer votre triomphe, voire votre sacre politique, s’est transformé en berezina et seul votre ego surdimensionné,  associé à une cécité foudroyante, arrive à vous maintenir en place. Pour un être normalement constitué la manifestation littéraire ludovicienne était l’occasion idéale, après le camouflet haut-rhinois, de venir s’expliquer, trouver une dimension humaine, enterrer la hache de discorde, fumer le calumet électronique de la paix. Faire un geste quoi. Non ! C’eut été trop demander. Quelle tristesse. Quel pathos! Les deux seules fois (car c’était la première et la dernière) où nous avons pu bénéficier de la visite lumineuse de Philippe Richert à la foire du livre de Saint-Louis, c’était lors de l’édition précédent les élections régionales qui allaient consacrer le succès de sa liste et le placer à la tête du Conseil régional d’Alsace. Il y présentait un ouvrage aux accents autobiographiques sous forme de profession de foi. Il y dédicaçait chichement sa prose à quelques léche-culs de service en compagnie de son ami politique Troesstler, auteur chez le même éditeur, qui peu de temps avant via le Conseil régional, venait d’accorder une subvention de quinze mille euros (quand la moyenne se situe entre mille et trois mille) à leur éditeur commun pour la réédition d’un ouvrage augmentée d’un corpus iconographique. Vous avez bien lu ; quinze mille et réédition, et votre cerveau malade et parano n’a pas osé imaginer un seul instant une collusion de type quelconque entre amis auteurs politiques et éditeur. Ajoutons pour la bonne humeur que l’ouvrage en question n’a pas été imprimé en Alsace (amis de la filière imprimerie alsacienne qu bord de l’asphyxie bonjour !) et que son lieu d’impression, au mépris des règles les plus élémentaires de l’édition, n’est pas indiqué… (je peux me tromper et avoir mal regardé, mais dans ce cas là je ferai amende honorable…) Le président élu récidivera peu de temps après en accordant une subvention à un ouvrage imprimé cette fois…en Chine! Allant même jusqu’à s’émerveiller du savoir-faire des imprimeurs d’extrême orient en conférence de presse, sans sourciller et sans provoquer le moindre émoi chez les thuriféraires du landernau médiatique local, tous une main sur la couture du pantalon et l’autre sur le bloc-notes. Un vrai titreur, si ce métier existait encore, dans la presse ailleurs qu’à Libération aurait osé “Richert soutient la filière  Alsiatique !”. Mais j’invective à outrance, et on me soupçonne d’une mauvaise foi digne du premier défroqué venu. Philippe Richert aime les livres. J’en veux pour preuve les mille exemplaires de la biographie d’Adrien Zeller qu’il a achetés et qu’il a adressé à chaque maire des deux départements alsaciens. A-t-il dédicacé chaque ouvrage ? C’est l’éditeur qui doit être content. Ira-t-il jusqu’à publier le prochain chef-d’oeuvre de Richert ? On surveille. Le président fait grand cas des lettres vous l’avez donc compris.  Mais il faut reconnaitre que ses priorités sont ailleurs. Il préfère aller soutenir la pitoyable aventure d’un club de foot en terre lorraine, reconduire des subventions  exhorbitantes à un ex-enfant du pays éxilé fiscal en Suisse et caricature de mâle pollueur ambulant de l’oxymore “sport mécanique”.

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Mais surtout, il préfère aller s’abîmer dans la contemplation du gouffre financier qu’est devenu son musée de Wingen-sur-Moder. Le site d’information Rue 89 à Strasbourg s’est fendu à ce sujet d’un article qui vaut le déplacement. Les chiffres s’alignent, les bilans s’enflamment, les glottes se rétractent, le rythme cardio-vasculaire du contribuable s’affole. C’est incroyable la facilité déconcertante avec laquelle on peut dépenser le fric quand il ne vient pas de son porte monnaie… Seule la poésie pourrait traduire ce sentiment. Mais ses amis politiques du Conseil Général dans un élan de lucidité, comme vous pourrez le lire en détail, viennent de le rappeler à l’ordre. Qu’à cela ne tienne, il a mis un point d’honneur à présider l’inauguration de la nouvelle expo. J’en ai lu le compte rendu dans le tract néo libéral local. Que du beau, des Hi , des oh, des ah, des uh, on aurait cru les voyelles de Rimbaud déclamées par un pensionnaire de la comédie française. Aucun mot bien sûr sur les infos du site strasbourgeois, comme quoi  cette presse est bien celle-là même que le grand Karl Krauss dénonçait déjà en des heures sombres “faite par des individus qui sont là parce qu’ils ont échoué dans tous les autres métiers…”

Mais Wingen-sur-Moder est si loin de Saint-Louis. Laquelle Saint-Louis n’est pas si loin du Lot et Garonne quand on y pense non ? Ah zut, j’avais donné ma parole qu’on n’aborderait pas ce sujet… La honte sur moi, mes excuses les plus sincères et passez un bel automne parce que l’été, n’est ce pas, vous m’avez compris…

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